A Dieu Vat ( 12)

A Dieu Vat ( 12)

De la liberté à la geôle

La première nuit galicienne, se passa dans la maison de mon nouvel ami. Il m'offrit un bon repas qui, enfin, ne prit pas de billet retour. Premier soir en compagnie humaine depuis mon départ. Il m'a parlé de la brume traîtresse, qui pouvait piéger les marins imprudents pendant des jours, et de la chance de l’avoir croisé sur ma route. Le lendemain serait consacré à la reprise en main de mon voilier. Et après ? J’avais bien le temps d’y penser, ou du moins, le croyais-je.

J'ai remis, non sans difficultés, le bateau en état. Le nettoyage de mes remontées tripières qui avaient tapissé le carré du sol au plafond, ne fut pas une mince affaire. Enfin, il était propre comme un sou neuf, paré pour de nouvelles aventures. Juanito partait en mer tous les matins. À son retour, en fin de journée, je l’aidais à décharger sa pêche que nous partions vendre à la criée. Je n’entendais rien au charabia des crieurs. Ils crachaient les chiffres au rythme d’une mitrailleuse Gatling ; quatre cents mots à la minute, au moins. L’ami galicien était tantôt satisfait, tantôt défait par les résultats des ventes. Rien cependant n’entamait sa bonne humeur. Deux semaines passèrent, un temps de repos nécessaire. Un soir, alors que nous discutions en sirotant tranquillement un verre de Queimada (punch local), Juanito me demanda quels étaient mes projets, la destination suivante. La question, bien que légitime, n’avait pas de réponse. L'expérience désastreuse de la dernière navigation avait fait naître un doute profond quant à mes capacités de marin. Ne t’en fais pas, amigo, me dit-il, tu es ici chez toi. Prends ton temps. Sors le plus possible, va naviguer sur la journée, ton corps finira bien par s'habituer. Son conseil parut empreint de bon sens. Je décidais de l’appliquer dès le lendemain.

Arrivé sur le quai en milieu de matinée, après une bonne nuit de sommeil et dans l’objectif d’une petite sortie facile, mon regard fut attiré par une voiture garée juste à côté du voilier. Elle était beige, bandes rouges et jaunes, flanquée d’un logo “Policia”. Du véhicule sortirent deux gardes civils. Le plus grand, sec et longiligne, m’interpella.

– Sénior Lopês ?

Passé l’effet de surprise, je répondis par l’affirmative.

Le second policier, petit, mais d’une corpulence importante, continua la conversation en français.

– Vous êtes en état d’arrestation, veuillez nous suivre.

Étrange impression, presque surréaliste, d'être interpellé par deux silhouettes improbables : l'une, filiforme comme une œuvre de Giacometti, l'autre, aux rondeurs généreuses à la Botero, et toutes deux parées du même uniforme. Apparemment, la police espagnole s'intéressait à ma personne. Ma conscience, loin d'être tranquille, me commandait de les suivre sans un mot, sans la moindre résistance. Avant même de monter dans leur Talbot, leurs mains glissèrent des menottes sur mes poignets. Le métal froid fut un choc violent. Une prise de conscience, un réveil brutal à la réalité, un atterrissage forcé. Sur le quai, les rares pêcheurs présents virent leurs regards passer de l'indifférence à l’interrogation. À cet instant, la honte me submergea, et la liberté tant désirée de s'éloigner de nouveau.

Après les formalités d’usage, les policiers me mirent en cellule. Elle était minuscule ; des murs de pierres grises, des barreaux froids, une odeur d'humidité. Elle se composait d’une couchette étroite, d’un seau et d’une ampoule au plafond. Paradoxalement, cet espace restreint et la privation de liberté résonnaient comme du déjà-vu. Il me rappelait l’internat. Je ne tremblais pas. Nous étions un samedi, un policier m’informa que je disposais de tout un week-end de réflexion, puisque l’enquêteur en charge de mon affaire ne serait là que la semaine suivante. Homme libre toujours, tu chériras la mer et tu finiras en prison. Charles avait omis de préciser ce détail ! Le lundi matin, je fus conduit dans un bureau presque vide où m'attendaient deux personnes. Un policier en uniforme et un homme en costume sombre. Ce dernier prit la parole :

-Monsieur Lopês, suite à la plainte de votre père et d’une banque, je vous annonce que nous avons déposé une demande d'extradition afin que vous soyez jugé par un tribunal français. La réalisation de ce transfèrement peut prendre du temps. Aussi, vous demeurerez en détention jusqu’à cette date. J’ai une lettre de votre père à vous remettre.

L’homme tendit une enveloppe. Sans autres propos, se leva, quitta la pièce.

En guise de missive, quelques mots :

“Profitez bien de votre séjour en prison, j’espère que cela vous mettra du plomb dans la cervelle.” Pas de signature, de “gros bisous” de “papa qui t’aime” ou de “papa” tout court. Cependant, il n’y avait aucun doute possible quant à l'identité du rédacteur, l'écriture m’était familière, car je l’avais déjà imitée. Retour dans le Home Sweet Home rikiki et verrouillé. Mes gardiens m'avaient informé que je serais détenu au moins deux semaines avant de rentrer en France. La période à venir s'annonçait longue, triste et compliquée. Rien d’autre à faire qu’à penser, ressasser, refaire l’histoire avec des “si”, tellement de “si”. Deux jours plus tard, après un café sans sucre et sans croissant, la porte de ma cellule s’ouvre. Le fonctionnaire de service me fait signe de sortir. Il me conduit à un guichet, rend mes effets et dit : “Vous êtes libre.” Je me retrouvai dans une ruelle, seul, sans avoir rien compris de ce qui venait de se passer.

A suivre...



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