A Dieu Vat ( 7)

A Dieu Vat ( 7)

La Fuite et les Doutes

Par une belle journée de printemps, le navire, la coque parée d’une belle couleur blanche, fut enfin mis à l’eau et mâté dans la foulée. Ne restait plus que quelques finitions à achever, réglages à peaufiner et surtout tester ses aptitudes maritimes. Lors de notre toute première sortie en mer, je pris conscience qu’un bateau se mouvant sur l’élément liquide a une tendance naturelle à l’instabilité. Pas très fier, pas à mon aise. Marcel me rassurait, expliquant qu’il y avait un temps d’adaptation inévitable “l’amarinage” afin que l’organisme s’habitue aux mouvements de l’embarcation. Ce temps-là, me concernant, était bien long. Le pied tardait à devenir marin. À chaque balade, les tripes en vrac rendaient les navigations particulièrement pénibles. Entre deux partages avec la mer et les poissons de mes différents gueuletons, j'appris, grâce à mon capitaine, à envoyer la toile, lofer, abattre, tenir un cap, lire une carte, calculer une route : les bases du métier. Les virées se succédaient sans que passent les nausées.

L’heure du grand largage de Marcel et de son sloop approchait. Moi, je resterai sur le quai. À courir trop longtemps après un rêve, il est possible de se lasser de l’attendre. Étrangement, commençait à poindre, dans la tête de mon ami, l’idée que le chemin avait bien plus de sens que l’idéal poursuivi au commencement. Plus l’échéance du départ se précisait, plus le capitaine trouvait des choses à améliorer pour la retarder. Le voilier était fin prêt, mais l’envie de grand large, comme une grande marée au Mont Saint-Michel, avait déserté le corps et asséché l’esprit de son humain. Cependant, cette pleine mer-là ne reviendrait pas de si tôt. Après de multiples reports, le capitaine-aventurier finit par m'annoncer qu’il renonçait et mettait en vente le fruit de tant d’années de travail. Pas le choix. Un voilier, c’est fait pour naviguer, pas pour rester tel une flie collée au quai. Lui n’avait plus envie de voyage. Passé l’âge. Il tournait la page, sans regrets apparents. Bras ballants, tétanisé par cette nouvelle, je me disais que si ce bateau avait été mien, j’aurais tout largué dès le lendemain. Sonné, cerveau dans le chaos, déçu par mon ami, mon maître, je quittai le bord et errai dans la ville grise. Tout était terne. Les murs, le ciel, mes rêves. Jamais il n’avait été question que je parte avec lui, mais son renoncement sonnait le glas de mes projections. Moitessier me hantait. Lui, avait osé. Lui avait renoncé au retour, pas au départ. J’avais travaillé si dur, transpiré toutes les eaux salées de mon corps, connaissais intimement le voilier. Il était inimaginable qu’un autre, un pirate, s’en empare. L’unique solution pour le garder était de l’acquérir moi-même.

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