A Dieu Vat (13)

A Dieu Vat (13)

La Perte du Rêve

En regardant autour de moi, un indice, un début d’explication apparut au milieu de la rue. Une silhouette, moyenne, carrée, connue, se trouvait là. Princhard. Le taiseux avait sa tête des mauvais jours. Lentement, timidement, je m'approchai de lui. Lorsque je fus à sa portée, la main lourde et puissante de Marcel vint décoller ma tête du reste de mon corps. Le tout s’en alla valser dans le caniveau. Une vraie torgnole paternelle, la première, la seule.

Il grommela.

— Viens, on va prendre un café.

La joue en feu, sonné, penaud, je suivais mon plantigrade.

Assis en face l’un de l’autre autour d’une table et deux tasses de liquide noir, l’heure des comptes avait sonné à la grande comtoise de la vérité.

— Comment es-tu arrivé ici, lui demandai-je ?

— Crétin, tu devais accoster à Cork. Penses-tu vraiment que je n’allais pas m’assurer que toi et le bateau étiez bien arrivés à destination ?

— Mais je ne suis pas allé en Irlande !

— Merci, ça, je l’ai bien compris. Pendant un temps, j’ai cru que tu avais disparu en mer. Dans le doute et l’inquiétude, je me suis rendu à l'étude de ton père. Ça tombait plutôt bien, il sortait d’un déjeuner avec son banquier. Autant te dire qu’il était en colère, le notaire. Il m’a raconté tes exploits financiers. Lui non plus ne savait pas où tu étais.

— Comment as-tu trouvé mes parents ?

— Abruti, des notaires à Locronan, il n’y en a pas cent.

— Mais alors, comment m’avez-vous retrouvé ?

— Tu parles trop gamin. Un fugitif, ça ferme sa gueule, ça n’informe pas la terre entière de ses exploits, ça se fait la belle discrètement ! Ton père a reçu un coup de téléphone d’un pêcheur espagnol. Après quoi, il a porté plainte contre toi et t’a mis les flics aux fesses.

Revinrent à ma mémoire les souvenirs embrumés d’une soirée, trop chargée en queimada, durant laquelle j’avais raconté à Juanito les événements qui m’avaient conduit jusqu'à lui. Je me souviens très bien du mal de crâne du lendemain.

— Mais ils m’ont libéré !

— Bien sûr qu’ils t'ont libéré, andouille. J’ai trouvé un arrangement avec ton paternel. J’ai rendu le fric que tu leur avais piqué et récupéré mon bateau. Lui et le banquier ont retiré leurs plaintes. Je ne peux pas te garantir que tu ne sois pas déshérité ni que la justice française te lâche les basques. Mais d’une certaine manière, tu l’as bien cherché, drôle. Allez, on va au voilier.

Après un quart d’heure de marche silencieuse dans les rues désertes de cette fin de matinée ensoleillée, nous arrivâmes sur le quai, où attendait A Dieu Vat.

Princhard sauta à bord, s’engouffra dans le carré, en sortit mes affaires qu’il jeta négligemment à terre. Il mit le moteur en marche. Sans un mot, un regard, largua les amarres et fit route vers le large.

Sonné, je restai là, planté sur ce quai, comme ces bites d’amarrages qui ne voyagent jamais. Pour toute richesse : un sac à dos presque vide. En regardant Marcel s'éloigner avec mon bateau, je songeais à ce qu’il emportait avec lui : ma naïveté, mes illusions, mon rêve. Princhard, avait été fidèle à lui-même : direct, brutal, efficace. Il avait résolu mes problèmes, mais il m'avait aussi renvoyé à ma propre solitude, celle de ce môme qui n’intéressait personne. J'avais fui un chemin tout tracé, un destin imposé, pour trouver ma liberté et découvrir qui j’étais : j’avais échoué.

A suivre...



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