Une Nuit sans Étoiles
Les jours succédaient aux nuits sans que la tension retomba. Nous remontions au nord en restant éloignés des côtes, des routes de navigation et des zones de pêche trop fréquentées. Arrivé à la fin d’un crépuscule au large de l'Espagne, le capitaine donna l’ordre de stopper les machines. Le noir était devenu total sur un océan plat comme une galette de sarrasin. Pas même une étoile pour éclairer la scène. Nous attendions. Une lumière au loin. Elle semblait se rapprocher rapidement. La police ? Non, mais un rendez-vous discret avec les destinataires de la marchandise. L'ordre fut donné de passer la cargaison par-dessus-bord. Les caisses, liées les unes aux autres, flottaient entre deux eaux sur une mer d’huile. L'embarcation mystérieuse se rapprochait. Coque sombre, sans marque, équipage réduit. Cinq hommes non identifiables. L'un d’entre eux restant aux commandes tandis que les autres, armés de gaffes, commencèrent à repêcher les colis et à les hisser à leur bord. Costauds, les gaillards. Nous nous étions mis à plusieurs pour les balancer un par un. En moins d’une demi-heure, le tour était joué. Ils remirent les gaz et firent cap sur le point d’où ils étaient sortis, disparaissant dans cette nuit tombale. Le Sirocco reprit sa route, vide et tranquille. Le capitaine retrouva son sourire, l’équipage sa routine. Allongé sur ma banette, je pensai à Henry de Monfreid. Nous venions de vivre un moment que les simples terriens mortels trouvent uniquement dans les livres. J’en avais rêvé assis sur les quais ; désormais, cette expérience faisait partie de mon histoire pour de vrai.
Retour à La Rochelle. La paye fut excellente. Vingt mille balles sans la case prison. La satisfaction de la chose vécue n’avait pas entraîné le désir ou l’envie d’y retourner. Je déclinai poliment l’offre d’un nouveau voyage. L'objet de cet embarquement m'était inconnu, mais l'ignorance du puceau ne pouvait plus être revendiquée. La chance sourit aux débutants ou aux audacieux. Cela n’arrive qu’une fois et il n’était pas question de tenter le diable. Ma mémoire n’avait pas oublié l’exiguïté d’une cellule. De rab en la matière, il ne pouvait être question. Je pris mon baluchon, descendis la coupée sans regarder en arrière :
sage décision.
A suivre...
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