Un Amour
Une chose, plus que toute autre, me tardait d'être réalisée : le rendez-vous dans un troquet, au coin d’une rue du vieux port, avec une femme rousse, aux yeux verts et à l’accent discret. Avant même d'atteindre le café, la silhouette de Mary m'apparut. J'ai pressé le pas. Lorsque, à son tour, elle m'a vu, un large sourire a illuminé son visage. Elle s'est levée, s'est arrêtée de l’autre côté de la chaussée, juste en face de moi. Seule une mince bande de bitume nous séparait encore.
Deux secondes en suspension. Un instant où le temps s'arrête et où l’on prend conscience qu’il va se passer quelque chose d'important. J'ai traversé cet ultime obstacle, comme on tourne une page pour ouvrir un nouveau chapitre de l’existence. Ce jour-là, nos corps se sont reliés pour la toute première fois. Sans y réfléchir vraiment, nous nous sommes enlacés ; enfin. Ressentir nos présences mutuelles était rassurant.
Puis, autour d’un petit crème : raconter. Je ne lui ai rien caché de mes dernières aventures, bémolant toutefois les risques encourus ; plaidant l’ignorance initiale quant à la nature réelle de cette expédition. Je lui ai certifié qu’il n’y en aurait plus d’autre de ce genre.
Le reste de la journée se passa de tête-à-tête en côte à côte. Nous marchions le long des quais, lorsque sa main se posa subrepticement dans la mienne. Étrangement, comme s’il s’agissait d’une vieille habitude, cette dernière glissa doucement ses doigts entre les siens. Ah, la jolie sensation. Le silence était souriant, le moment heureux.
Quelques pas plus tard, sans un mot, elle se posta devant moi, rapprocha son visage. Son petit nez irlandais vint se coller au mien. Puis, tendrement, des lèvres anglo-saxonnes rencontrèrent des lèvres bretonnes. Un meeting de lippes celtiques, en somme. Ma bouche jouât la vieille routière, mais dans son for intérieur, elle vibrait d’un intense bonheur. Ce fut un long temps. Un très long moment. De nouvelles pensées, des sentiments inédits, des sourires et des rires.
Hors de question de se séparer là, sur un bout de quai. Le chemin naissant entre nos deux êtres n'en était qu'à ses balbutiements. Il restait à en faire une véritable histoire. Aussi, je l’invitai pour un dîner à deux. L’Homo sapiens mâle pense, mais manque souvent d’originalité. Un hochement de tête affirmatif et joyeux fit danser ses boucles rousses. Nous avions partagé de nombreux cafés ; ce repas serait le premier.
Et après ? L’après m'angoissait. Aurait-elle envie d’aller plus loin ? Je n’avais jamais partagé de nuit avec une femme. Initié aux seuls mystères maritimes, le Paquito était face à l'inconnu, un nouveau cap, un autre sexe ; tiraillé entre trouille et exaltation. Depuis sa toute première seconde, notre histoire s'était écrite en vérité. Alors, le repas terminé, je fus honnête, lui avouant ma totale ignorance en la matière.
Elle sourit, prit ma main, m’embrassa et m’invita à la suivre. Tout mon être espérait ce moment. À la sortie du restaurant, une pluie impromptue et dense se conviât sur nos têtes. Nous arrivâmes devant sa porte d’entrée ; trempés. Les boucles rousses avaient disparu, noyées sous les gouttes d’eau qui reflétaient les lumières de la ville et ruisselaient le long de son visage et de son cou. Ses yeux brillaient et elle riait encore. Le fin tissu mouillé de sa robe épousait parfaitement sa peau, laissant deviner les formes de son corps. Elle ressemblait à la vérité voilée, d’Antonio Corradini. Je fus profondément troublé par tant de beauté.
L'appartement était petit, mais impeccablement rangé. Je suis entré, comme un marin qui aborde un nouvel archipel : les féminines. Dans la pièce principale, un coin repas, un sofa et une table à dessin… Je n’eus pas le temps d’en voir davantage, Mary m'entraînant vers sa chambre. Ce lieu suscitait en moi une certaine appréhension, celle de ne savoir m’y prendre, de ne pas être à la hauteur de ce qui s'annonçait inévitablement.
Là, elle prit mes mains, les posa délicatement sur le tissu encore humide qui dessinait sa poitrine. Mes paumes épousaient parfaitement la courbe de ses seins. Il était évident que nos corps étaient faits pour se rassembler.
Elle commença à me caresser les bras avec une douceur infinie. Jamais mon être n’avait été touché avec autant de délicatesse. En vérité, il ne l’avait jamais été. Chacun de ses effleurements était une naissance à la tendresse. Elle m’invita à la déshabiller. Doucement, je relevais la toile qui avait inspiré mon imagination. La nudité de cet être, la vérité que je venais de dévoiler, fit naître en moi un trouble profond. Cette vision fut un pur moment d’émerveillement. Elle se glissa sous les draps, m’incitant à la rejoindre. Nos corps nus s'effleurèrent d'abord, comme une promesse en devenir, silencieuse, échangée entre deux êtres. Il fallait se découvrir, sentir la chaleur de l'autre peau, apprivoiser le corps encore étranger avant de pouvoir fusionner et renaître. Que de cette union naisse le trois : elle, moi, et l'entité nouvelle que nous devenions ensemble.
Ainsi fut notre première nuit d’amour, ma première nuit d’homme, tout court.
A suivre...
© Créé avec systeme.io