A Dieu Vat (5)

A Dieu Vat (5)

études; suite

Ayant renoncé à porter soutane, mon père, notaire de son état, m'imposa de suivre des études de droit. Espoir, illusoire, d’une relève pour que perdure la tradition transgénérationnelle notariale. Après avoir tenté le rachat des fautes familiales, place à la reprise des affaires. Las, pour lui, le talent et le goût pour la matière légale étaient en dehors de mes attributions. Les règles du sacré avaient gouverné ma vie, sans que j'y consente, pendant des années. Libéré de ce joug, hors de question de mettre mon coup sous l’égide de législations, tout aussi lourdes, tout aussi rigides que les théologiques. Maître Paquito Lopês ! Simplement prononcer cette phrase à haute voix fait naître le doute quant au sérieux de ce nom sur une plaque professionnelle. Michel ou François, peut-être, mais lorsqu’on se prénomme comme une danse de Ferias rythmée par la musique des Bandas, la crédibilité de l’être en charge de la charge peut paraître discutable. Pour ne pas contrarier l’injonction paternelle et sous la menace motivante d’une coupure de vivre, je posai mon fessier sur les bancs de la faculté. Deux années furent requises pour que je valide la première. Aucune des tables de la loi ne vint jamais obstruer mon cerveau. Aucune page d’aucun code n’embruma ma vue, davantage que le strict nécessaire. Pendant que mes camarades d’amphithéâtre se préparaient avec acharnement à la carrière, moi, je rêvais d’un autre chemin.

C’est à cette époque, errant sans but précis dans les rayons de la bibliothèque municipale, qu'eut lieu la découverte du bouddhisme, du taoïsme et de tout un tas de concepts philosophiques et politiques en « isme ». La prise de conscience que la grande majorité des humains qui peuplent la planète vivent dans l’ignorance d’une pomme et d’un serpent fut une révélation. Pour eux, point de péché originel, d’atavique culpabilité ; de faute en héritage du père. N’en déplaise à Saint-Augustin, je ne m'identifiais plus à la race pécheresse. Donc, a priori, coupable de rien. Bien sûr, il y a le karma. Cependant, son principe n’a rien de répressif. Le parfum venu du lointain Orient qui augurait sa philosophie était plaisant. Il invitait mon immobilité au voyage.

À un battement d’aile de goéland de mon banc d’étudiant, il y avait l’océan. Entre les cours, ou pendant les cours que je ne suivais pas, je me posais, songeant, assis sur un bollard, face à la rade. Paquito! Homme libre, toujours, tu chériras la mer ! Charles avait sans doute pensé à ma déprime en écrivant ces lignes ! Je n’avais aucune idée de ce qu’impliquait cette phrase. Cependant, cet espace mouvant, vide de murs, m’était fascinant. En lieu et place des tristes livres rouges des différents codes de la loi de chez Dalloz, je me coulais au creux des formidables récits d’aventuriers navigateurs. Gerbaud, Bombar, Monfreid devinrent mes précepteurs, mes nouveaux prophètes. Moitessier était de loin mon préféré. Vingt fois, j'ai lu La longue route. Rêvant d’un bateau rouge, de l’école de la débrouille qui rend les choses possibles et d’un Joshua à moi. Lui serait mon sauveur. L’idée d’un voyage sans retour devint mon projet de vie, mon moteur à vent.



© Créé avec systeme.io