¡Hola, me llamo Paquito !
Paquito Lopez!
Avec un tel patronyme, tu m'imagines en torero , fier hidalgo ou danseur de flamenco ?
Pero no, soy francés.
Et c'est tout, ou presque, ce que je peux te dire dans la langue de Cervantès !
D’un père breton et d’une mère basquo-landaise est né un hexagonal de l’ouest. Une question, restée à ce jour sans réponse, se pose: quelle mouche piqua mes parents pour m’affubler d’un tel prénom?
Paquito signifie “homme libre ”. C’est précisément dans ce détail que se manifeste l’extravagance de ce choix. Mes géniteurs sont originaires et résident dans une petite commune du Finistère : Locronan, la ville des pénitents. Sans doute est-ce en hommage à cette cité, ou dans le but de racheter les fautes de toute la famille, qu’ils ont voulut faire de moi un cénobite. Projet de vie antinomique avec le principe de liberté.
C'est au sein de l'enseignement prodigué par des bonnes sœurs et des curés que j'ai subi mon instruction. Dès l’école primaire, mes parents m’ont enfermé dans une boîte de jésuites, sans point commun avec les douceurs pâtissières. Pour essayer de tirer quelque chose de valable du produit de leur union, ils m'envoyèrent à cinq cents kilomètres de ma terre finissante. De ce couple ne naquit aucun autre rejeton, tant le résultat de leur coït cassa leurs projections.
Je n'étais pas méchant, turbulent ou désordonné, juste un gamin distrait, rêveur et légèrement paresseux.
Ils m’ont placé dans un milieu ecclésiastique à la dimension morale étriquée. Condamné à l'isolement dans une prison de granit; contre mon gré. Du gré, ce système n'en avait rien à faire. Du mien comme celui des autres. Tous confinés pendant de nombreuses années dans un microcosme aux rituels extravagants.
Les journées commençaient et finissaient par des temps de prière. Un père, dodelinant de la tête ou un autre basculant d’avant en arrière, psalmodiait les saintes écritures et nous inculquait la bonne manière de les comprendre.
Des hommes en longues robes noires et petit col blanc burinaient les cours. Leur instrument didactique préféré : la règle en bois, carrée, à bords aiguisés. À grands coups d’elle et dans une brutalité manifeste, ils brisaient les premières phalanges , les paumes de mains des idiots ignorants ou les ailes des rêveurs hermétiques à leurs enseignements.
La vie était rythmée par le son strident de la grande cloche. Si la taille avait été en rapport avec le nom, son bruit aurait été bien moins désagréable. La sonnaille retentissait à chaque début et fin de cours, repas, études, prières, lever et coucher. De l'Avent à Noël et du Carême jusqu'à Pâques, elle déchaînait sa joie tant l'heureuse nouvelle, renouvelée chaque année, était essentielle à annoncer. Depuis, j'éprouve une aversion pour les cloches, qu'elles soient de brume ou non.
Et il y avait les rangs. Des tas de rangs d’élèves en rangs d’oignons. Des lignes d'une tête, exposées au grand froid, sous la pluie, attendant qu'un silence parfait déclenche enfin l'ordre de mouvement.
Les admittaturs et les exeats, régissaient les droits d’entrées et de sorties des cours pour les retardataires et les dispensés. Saufs-conduits garantissant à l’enseignant que nous étions bien passés par le bureau du préfet et que nous en avions fait les frais.
Dans l'immense dortoir abritant quatre lignes de vingt lits aux matelas avachis, quatre-vingts mômes prenaient place chaque soir. Sous la coupe d’un surveillant, apprenti-prêtre, arpète maton; par obligation, nous nous allongions sur le dos, bras posés sur la couverture, mains jointes pour une ultime prière et l’ordre que la nuit nous soit conseillère. Tout écart à cette injonction, tout chuchotage prohibé, était sanctionné par une station de pénitence, sur les genoux, bras écartés, au pied du plumard métallique. Blâme sévère, dont la durée variait en fonction de l’humeur du Cerbère. Le local à sommeil était chauffé d’un simple tuyaux de cuivre circulant tout autour de son périmètre.
Durant l'hiver, quand la glace gelait les fenêtres, de minuscules stalactites se créaient à l'intérieur. Le soir du mercredi, il était obligatoire de prendre une douche collective dans un endroit froid, fait de béton et de caillebotis glissants. Au-dessus de ce dortoir se trouvait celui des plus grands, copie conforme du premier. Deux choses tout de même marquaient le changement de grade: la possibilité de se coucher comme bon nous semblait et un réveil en musique.
Au troisième étage : l'élite, l'avenir en gestation de la nation. Les élèves en terminale avaient accès à de petites cellules pouvant accueillir deux personnes. L'exigence absolue d'une réussite totale au bac « C » nécessitait des conditions d'apprentissage particulièrement propices.
J’ai personnellement gravi les trois étages, même si le choix de la filière “B” m’excluait de facto des potentiels meilleurs éléments de la république.
Au réfectoire, les longues tablées de têtes gamines étaient servies par un ancien Indochinois, rapatrié en métropole par des pères missionnaires ; vieille nostalgie de la Cochinchine. Il circulait en bout de rangé avec son chariot chargé de grands plats en aluminium gris. Le contenu de ces contenants était variable, de temps en temps étrange, néanmoins comestible. Il était préférable de se tenir en bout de table, si nous souhaitions manger à notre faim et profiter d’un peu de rab. Les phrases les plus prononcées durant les repas étaient “ faites passer le plat, faites passer le pain”. Devenus lycéens, au dîner, nous buvions de la bière Valstar; deux bouteilles par tablée. Pas de quoi déclencher l’ivresse, mais un éveil du palais et l’appétit pour celles qui, immanquablement, viendraient bien plus tard.
Nous ne quittions la forteresse qu’aux moments des vacances, sans que de ces entractes ne restent des souvenirs impérissables. Passage d’un monde de granit a un autre ; celui de la maison familiale. Toute aussi froide, le vide en sus. Des mois de solitude estivale. Père et mère travaillant pendant mon temps de présence sous leur toit, nous ne nous croisions que pour des repas silencieux. Les voix se réveillaient après le dessert, une fois que j’avais quitté la pièce.
Dans mon ascendance directe, le poste parental est toujours resté vacant. Il ne reste de ces périodes d'interruption scolaire que quelques souvenirs fugaces et la sensation existentielle de l'ennui.
L’incarcération forcée à durée jusqu’à mi-lycée.
Une orientation en science économique, non enseignée par les pères, m’a extradée durant la journée chez des bonnes sœurs, des mères plus calées dans la matière.
Les Ursulines tenaient un internat de jeunes filles. La discipline y était laxiste comparée à celle des jésuites. Les garçons n’y étaient qu’une infime minorité et par conséquent convoités par les hormones adolescentes naissantes. J’y ai rencontré Soisic, demi-pensionnaire, mon premier amour.
Interne-externé, je ne regagnais mon bagne qu’en début de soirée. Entre les deux institutions, j’osais un petit crème dans un café du coin. Face à ma tasse, je regardais discrètement vivre les gens libres et entre deux éclats de rires, songeais à embrasser ma jolie celtique.
Longtemps, j'ai craint, qu’à mon âme défendant, ils fassent de moi un clérical et m'entraînent vers un triste ministère. Transmettre la sainte parole , pourquoi pas, mais le célibat ne me tentait pas. Dans cet univers vide de présence féminine, l’autre genre nourrissait les conversations, les vantardises et les rêves interdits des prépubères . Je priais sans cesse le dieu des chrétiens pour qu’il oublie jusqu’à mon existence et ce passe de mes services. Ma volonté fut exaucée : Dieu existe.
Longtemps, j'ai craint la colère céleste. Chaque pensée, chaque action était conditionnée par le spectre de la sanction. Comme si, une petite poussière d’humain était d’un quelconque intérêt pour l’éternel. Il y avait une incohérence entre le concept, enseigné par le dogme, de l’amour inconditionnel, du pardon et la peur du coup de bâton. Aussi, je m’efforçais, autant que possible, de ne pas attirer la divine attention.
La contrainte de trois prières par jour et d’une messe hebdomadaire a rempli à jamais ma jauge de sacré.
Le baccalauréat, obtenu par un bienheureux hasard de sujets favorables, siffla la fin du boulet moral de cette éducation. Les pieds, libérés de leurs entraves, pouvaient enfin prendre la route vers leur destinée.
( à suivre)
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